La Femme au vase, 1933

Carmen Giménez • 27 mars 2015

RÉSUMÉ/SUMMARY OF TALK

 

La sculpture de Pablo Picasso La Femme au vase (La porteuse d’offrande), 1933 est l’une des plus importantes parmi les multiples que l’artiste ait réalisés. Elle est de surcroît investie d’une charge symbolique non négligeable, l’original de l’œuvre se dressant sur la tombe de cet artiste de génie. Et ce n’est pas tout : elle est intimement liée à l’histoire de Guernica (1937, Museo Nacional de Arte Reina Sofía, Madrid). La Femme au vase met fin à la mythique série des quatre grandes sculptures de Marie-Thérèse, réalisées à Boisgeloup en 1931 et photographiées par Brassaï (Gyula Halász, dit). Néanmoins, c’est la seule sculpture qui n’ait pas été photographiée par Brassaï mais par l’atelier de photographie Bernès, Marouteau et Cie en 1934. Sa relation avec la sculpture ibérique était évidente, et en particulier sa parenté avec les petits ex-voto de Despeñaperros que Picasso adorait et collectionnait. La Femme au vase est une sculpture monumentale comme en témoignent ses dimensions : 220 × 122 × 110 cm. Ce qui nous frappe d’emblée dans cette géante est la disproportion. Courte sur pattes, le bras droit est exagérément long et s’étire pour se prolonger en un encensoir ou un vase, serré entre des griffes plutôt que porté, tandis que le bras gauche est amputé à hauteur de l’épaule. Son tronc, soutenu de manière invraisemblable par deux jambes rigides et maigres, est formé de trois énormes protubérances superposées : un ventre rebondi, peut-être de femme enceinte, deux seins gonflés et une tête difforme, ovoïde, comme celle d’un ophidien. L’ensemble présentait en outre quelque chose que nous ne pouvons plus voir car l’original en plâtre a été détruit en 1972-1973 : une blancheur éclatante qui ne faisait qu’amplifier les caractéristiques choquantes que nous venons de décrire. Car il s’agit bien d’une femme monstre évocatrice de ces autres monstres, nus ou vêtus, avec ou sans barbe, si typiques du goût espagnol dans la peinture du xviie siècle. Toutefois, il nous reste encore une question très importante à aborder : la vie qui anime une œuvre d’art une fois achevée par son auteur. Dans le cas présent, nous pouvons mentionner deux épisodes : la disparition ultérieure du moulage en ciment (Pavillon espagnol, 1937) ; la destruction de l’original en plâtre en 1972-1973. Nous constatons dans La Femme au vase la superposition de multiples expériences plastiques, passées et actuelles, chez un Picasso multiforme qui puisait ce qui lui convenait dans le passé proche et lointain des autres pour lui donner forme, tout en se servant de ce que lui-même avait expérimenté et créé depuis le début : la monochromie, le cubisme, la néofiguration des années 1920, le dessin dans l’espace, la déformation et la ronde-bosse organique, d’origine surréaliste…

Pablo Picasso’s sculpture Woman with a Vase (1933) is one of the most outstanding of his many sculptures. It is impregnated with great symbolic resonance, as the original rises above the great artist’s tomb and is intimately linked with the legacy of Guernica (1937, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid). Woman with a Vase puts an end to the mythic series of four large-scale sculptures of Marie-Thérèse Walter, made in Boisgeloup in 1931 and photographed by Brassaï. Yet it is the only sculpture that was not photographed by Brassaï but by Bernès, Marouteau et Cie. (Paris) in 1934. Its relation to Iberian sculpture is evident and especially to the small votive offerings of Despeñaperros, which Picasso adored and collected. Woman with a Vase is a monumental sculpture, as its dimensions prove: 220 x 122 x 110 cm. What immediately strikes us about this giantess is her disproportion. She is a short-legged figure with an enormously elongated arm that stretches on and on until its prolongation in the bowl or vase, which she carries like a body trapped in her claw, while the left arm is mutilated nearly at the height of the shoulder. She does not have an arm to receive with, but she does have one to give with. Her trunk, implausibly sustained by the two thin and rigid legs, is divided into three huge superimposed protuberances: a swollen belly, perhaps pregnant; two bloated breasts; and a shapeless head, vaguely ovoid, resembling that of an ophidien. And there is yet another thing, though we have been unable to appreciate it since the original plaster figure was destroyed. Unlike the version exhibited at the Spanish Pavilion at the International Exposition in Paris of 1937, this one was gleaming white, which doubtless accentuated the more striking characteristics previously described. She is, in short, a “monster”, reminding us of the monstrous women, whether dressed, nude, bearded or beardless, in seventeenth-century Spanish painting. In any case, there is still one very important matter to deal with: the life taken on by a work of art after its creator finishes it. I am not referring so much to the material vicissitudes it will face, including the possibility of physical destruction, though there are two episodes worth mentioning in this respect, namely the later disappearance of the version set in cement at the Spanish Pavilion of 1937, and the destruction of the plaster original in 1972-73. We perceive in Woman with a Vase a superimposition of many artistic experiences, past and present, in a multifaceted Picasso, who not only took whatever suited him from the past, remote or recent, in order to reconfigure it, but all that he had created and experimented with from the start: monochromy, Cubism, the neo-figuration of the twenties, drawing in space, deformation, and the round organic lump of Surrealist extraction…

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BIOGRAPHIE/BIOGRAPHY

 

Carmen Giménez est conservateur au Solomon R. Guggenheim Museum (SRGM) de New York depuis 1989. Elle est auteure de nombreuses expositions consacrées à Picasso au SRGM dont « Picasso et l’âge de fer » (1993), « La peinture espagnole du Greco à Picasso » (2006-2007) et « Picasso noir et blanc » (2012-2013). Elle a notamment assuré la préfiguration du musée Guggenheim de Bilbao. Auparavant, elle a dirigé le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid de 1983 à 1989.

En 1992 elle est la directrice du projet « Picasso clásico » au Palacio Episcopal de Málaga. En 1994 elle a été commissaire de « Picasso premier regard. Collection Christine Ruiz-Picasso » (Palacio Episcopal, Málaga ; Pabellon Mudejar, Séville ; Carré d’Art, Nîmes). Elle a été chargée en 1997 de la création du Museo Picasso Málaga et de sa collection. Elle en supervisa les travaux de rénovation et, en tant que première directrice, elle organisa l’exposition d’ouverture « El Picasso de los Picasso » (2003). Elle a reçu diverses distinctions et charges : médaille d’or des Beaux-Arts, 2004, décernée par le roi et la reine d’Espagne, membre du conseil d’administration du musée du Prado et de la Fondation Joan et Pilar Miró, académicienne d’honneur de l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando. Elle prépare l’exposition « Picasso the Line » qui sera présentée à la Menil Collection de Houston.

Carmen Giménez is currently curator of the Solomon R. Guggenheim Museum, which  she joined in 1989 as Curator of Twentieth-Century Art.  Among her exhibits: Picasso and the Age of Iron (1993); Spanish Painting from El Greco to Picasso: Time, Truth, and History (2006-2007), and Picasso Black and White (2012-2013). She laid the fundamental groundwork for the future Guggenheim Museum Bilbao. From 1983-1989, she was the director of the National Center for Exhibitions for the Ministry of Culture of Spain. She helped select the 18th century hospital to be converted into the Centro de Arte Reina Sofía, and in 1986 she curated its inaugural exhibition.  Established as a museum in 1988, she directed its exhibition programming until 1989. In 1992, she directed the project Picasso clasico (Palacio Episcopal, Málaga). She was curator of Picasso Premier Regard, Collection Christine Ruiz-Picasso in 1994 (Palacio Episcopal, Málaga, Pabellon Mudejar, Sevilla, Carré d’Art, Nîmes), and director of the creation of the Museo Picasso Málaga and its collection, where she oversaw its architectural renovation and was its first director, curating the inaugural exhibition Picasso’s Picassos in 1997. She is the recipient of the Gold Medal of Fine Arts by the King and Queen of Spain, a Member of the Board of the Museo nacional del Prado and the Fundació Joan i Pilar Miró, and Academician of Honor of the Real Academia de Bellas Artes de San Fernando. She is currently working on Picasso The Line, 2016, The Menil Collection, Houston.

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