Paul Rosenberg, marchand de Picasso aux États-Unis
Isabelle Limousin • 26 mars 2015
Isabelle Limousin • 26 mars 2015
Si les relations entretenues par Pablo Picasso avec Ambroise Vollard et Daniel-Henry Kahnweiler sont bien connues, celles qui l’ont lié à Paul Rosenberg le sont moins. Succédant à son frère, Léonce Rosenberg, auprès de Picasso, le jeune marchand proposa au peintre une collaboration d’ampleur inédite : un contrat de première vue qui lui donnait accès à sa production la plus récente. Pour le marché américain, Paul Rosenberg s’associa à Georges Wildenstein. Mieux qu’un contrat, un ensemble de portraits des familles Rosenberg et Wildenstein peints par Picasso scella l’accord passé entre les trois hommes. Dès le début de sa collaboration avec Picasso, Paul Rosenberg comprit que, pour vendre ce nouvel art moderne, il lui serait nécessaire d’élargir sa clientèle, internationale en particulier. Si d’autres galeries, plus anciennes, avaient ouvert des succursales à l’étranger, Paul Rosenberg choisit de collaborer avec la puissante Galerie Wildenstein, qui joua ce rôle sans présenter les inconvénients d’une gestion à distance. Cette organisation lui permit de développer pendant plus d’une décennie ses projets, à l’Arts Club de Chicago notamment, de vendre des œuvres outre-Atlantique et de commencer à conquérir une nouvelle clientèle. Après la rupture de ce consortium en 1930, pour des raisons personnelles principalement, alors que le marché de l’art était fragilisé par la crise financière et économique, Paul Rosenberg s’essaya à approfondir ses relations avec Joseph et Georges Durand-Ruel, Germain Seligman ainsi que Pierre Matisse qui devinrent dans l’entre-deux-guerres ses relais sur le territoire américain, avec des fortunes inégales. Paul Rosenberg ouvrit à Londres une galerie en s’associant avec ses deux beaux-frères, Jacques et Yvon Helft. Pendant la durée de son activité, de 1936 à 1939, cinq des vingt-quatre expositions qui y furent organisées présentèrent des œuvres de Picasso, et parmi celles-ci, deux lui furent entièrement consacrées en 1937 et 1939. L’activité de cette galerie londonienne, moins connue que la parisienne en raison de la disparition de ses archives notamment, fut pourtant déterminante au moment où éclata la Seconde Guerre mondiale. C’est en effet de Londres que partirent les œuvres de Georges Braque et de Picasso qui furent exposées respectivement à l’Arts Club de Chicago et au Museum of Modern Art de New York (MoMA). Jusqu’à son exil en 1940, à New York, sous la pression conjuguée de la guerre et de l’antisémitisme, Paul Rosenberg œuvra sans relâche à la diffusion de son art. Sa recherche de nouveaux marchés accompagna la formation du goût des collectionneurs pour l’art moderne et la création d’institutions dédiées à cet art aux États-Unis, jusqu’au succès de la rétrospective organisée par le MoMA inaugurée en novembre 1940, dont il fut l’un des principaux artisans. Cette intervention présente un premier état des recherches menées dans les fonds d’archives publiques et privées, en France et aux États-Unis, grâce à une bourse de recherche attribuée par la Fondation Carnot.
While Picasso’s relationships with Ambroise Vollard and Daniel-Henry Kahnweiler are well known, his connection to Paul Rosenberg is often overlooked. Following in the place of his brother, Léonce Rosenberg, the young dealer Paul offered Picasso an unprecedented opportunity for collaboration: a contract granting him the right to review the artist’s latest work before anyone else. For the American market, Paul Rosenberg worked in tandem with Georges Wildenstein. Better than a contract, a group of portraits of the Rosenberg and Wildenstein families painted by Picasso sealed the agreement between the three men. From the beginning of his collaboration with Picasso, Paul Rosenberg understood that, in order to sell new works in the modern art world, it would be essential to grow his customer base, especially abroad. While other galleries, among them the oldest in New York, had opened satellite galleries abroad, Paul Rosenberg chose to partner with the powerful Wildenstein Gallery, which played its part without the inconvenience of having to manage affairs at a distance. This arrangement allowed Rosenberg to manage his business, over a period of more than a decade, with the Arts Club of Chicago, most notably, in order to sell works and to find new clients in the American market. The trio parted ways in 1930 for personal reasons; in the meantime, in an effort to hedge against the fragile art market of the depression era, Paul Rosenberg sought to deepen his relationship with Joseph and Georges Durand-Ruel, Germain Seligmann and Pierre Matisse, who became, during the interwar period, Rosenberg’s liaison in American territory, with varying degrees of success. Paul Rosenberg opened a gallery in London in partnership with his two brothers-in-law, Jacques and Yvon Helft. In its three years of existence, from 1936-1939, five of the twenty-four exhibitions held there presented works of Picasso, and of those, two were entirely devoted to his work (in 1937 and 1939). The activity of the London gallery, less well known than its Parisian counterpart because of the disappearance of its archives, would become strategically fortuitous at the outbreak of the Second World War: it was via London that the works of Braque and Picasso were sent to the United States for exhibitions at the Arts Club and MoMA, respectively. Until his exile in 1940, in New York, under the combined pressure of war and anti-Semitism, Paul Rosenberg worked tirelessly towards the diffusion of his art and the search for new markets, both of which helped to shape collectors’ taste for modern art and ultimately, establish institutions dedicated to this kind of art in the United States. When the acclaimed retrospective organized by the MoMA opened in November of 1940, he was one of its principal architects. This talk presents a first stage of research conducted in both public and private archives in France and the United States, thanks to a research grant awarded by the Fondation Carnot.
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Isabelle Limousin est conservatrice du patrimoine. Diplômée de la Sorbonne nouvelle-Paris III, de l’École du Louvre et de l’Institut national du patrimoine, elle a rejoint en 2001 l’équipe de préfiguration du musée d’Art contemporain du Val-de-Marne (MAC/VAL). Chargée de la collection, elle a participé à la création de ce nouveau musée d’art contemporain en Île-de-France, inauguré en 2005, et a assuré le commissariat de deux expositions, « Voix d’eaux et + » de Fabrice Hyber (maison d’Art Bernard-Anthonioz – Fondation nationale des arts graphiques et plastiques) et « The Hand » de Melik Ohanian (musée national des Arts de Lettonie, Riga). Spécialiste d’art moderne et contemporain, elle est l’auteur de nombreux articles et interventions lors de colloques portant sur les travaux de Dominique Gonzalez-Foerster, Laurent Grasso, Børre Sæthre, Gilles Barbier, Robert Smithson, Bertrand Lavier, James Turrell, Philippe Parreno et Pierre Huyghe, dans leurs relations avec l’imaginaire de la science-fiction notamment. Elle a dirigé en 2014 le premier colloque international consacré à l’institution muséale au Centre culturel international de Cerisy, « Le musée, demain ». Elle enseigne en classe préparatoire, à l’École du Louvre. Conservatrice au Musée national Picasso-Paris de 2009 à 2014, elle a assuré les missions de conservation, d’étude et de mise en valeur de la collection des peintures et a contribué à son exposition itinérante en Europe, en Asie et en Amérique du Nord pendant la rénovation de l’établissement. Elle est lauréate de la bourse de la Fondation Carnot en 2011 pour un projet de recherche mené aux États-Unis sur Paul Rosenberg, marchand de Picasso. En 2013, elle a publié « Signé Picasso. L’artiste, l’œuvre et la marque » dans les Cahiers du musée national d’Art moderne et présenté une intervention portant sur « Picasso fantastique. L’artiste en personnage de fiction » au colloque du Cerli. Elle est co-commissaire de l’exposition consacrée à « Picasso et la guerre » programmée en 2019.
Isabelle Limousin is a curator of French national Heritage. A graduate of Sorbonne Nouvelle University, the École du Louvre and the Institut National du Patrimoine, she joined in 2001 the MAC/VAL under construction, as the director of the Department of Collections, she participated in the creation of this new museum of contemporary art in Ile-de-France, which opened in 2005, and curated two exhibitions, Voies d’eaux et + de Fabrice Hyber (Maison d’art Bernard-Anthonioz – Fondation nationale des arts graphiques et plastiques) and The Hand of Melik Ohanian (National Museum of Lettonia, Riga). A specialist of modern and contemporary art, she is the author of many articles and lectures for conferences about the works of Dominique Gonzalez-Foerster, Laurent Grasso, Børre Saethre, Gilles Barbier, Robert Smithson, Bertrand Lavier, James Turrell, Philippe Parreno and Pierre Huyghe, tackling the relations they may have with the literatures of the imaginary and mostly science fiction. In 2014 she directed the first international conference dedicated to the museum institution in Cerisy, Le Musée, demain (The Museum, Tomorrow) and is teaching in the École du Louvre. As a curator for the national Picasso museum (Paris, from 2009 to 2014), she endorsed missions of curation, study and promotion of the collection of paintings and contributed to its travelling exhibition in Europe, Asia and North America during the renovation of the establishment. The winner of a scholarship from the Carnot Foundation in 2011 for a project in the United-States about Paul Rosenberg, a Picasso art dealer, she is studying the work of that artist and is the co-curator of the exhibition “Picasso et la guerre” (“Picasso and War”, 2019).